L'envie d'être ailleurs - Emily

L'envie d'être ailleurs

J’étais arrivé à Paradize depuis maintenant un mois. Et j’avais insisté et insisté auprès d’Henri, l’homme que je faisais passer pour mon père depuis notre venue sur Terre, afin qu’il me permette d’aller au lycée. Si au départ il était totalement et irrévocablement contre, il avait fini par céder. Je n’aurais pas pu rester enfermer dans notre maison à l’écart de tout pour apprendre à métriser mes pouvoirs. Non, c’était beaucoup trop dur. J’avais toujours eu une envie folle de liberté, d’espace. Lors de notre séjour en Floride, c’était parfait. L’endroit rêvé et idéal. Malheureusement, à cause de la mort de numéro trois, j’avais du fuir en vitesse ce lieu, et nous avions atterri à Paradize. Ville paumé de l’Ohio. Mais j’avais du me résoudre à y rester, en tout cas pour l’instant, qui sait ce que nous réserverait l’avenir. Personne ne peut le prédire. J’espérais juste ne pas me faire trop d’amis. Afin de pouvoir tous les quitter sans remords ni regrets quand viendrait le jour.

Deuxième semaines de cours. Les professeurs étaient sympas. Et j’étais plus ou moins à mon aise dans ce lycée. Malgré tout, j’avais l’impression que tout le monde se connaissait, et les nouveaux n’avaient pas leur place. Ou tout du moins, c’était l’impression que j’avais. A mon arrivée, j’avais eu le plaisir d’avoir une certaine Sarah Hart comme « mentor » pour me faire visiter en deux temps trois mouvements ce petit lycée. Cette fille avait un quelque chose qui m’attirait comme une flamme attire les papillons. Mais je ne m’approcherai pas d’elle. Je ne le pouvais pas. Je devais garder mes distances. Et puis avec ces Mogadoriens à nos trousses, il devenait de plus en plus dangereux garder des simples humains auprès de nous. Et je n’avais aucune envie d’avoir la mort de la petite blonde sur la conscience. Même si l’envie était forte d’attirer tous ces jeunes lycéens dans mes bras, d’en faire leur connaissance, d’avoir des amis, comme un vrai adolescent. Mais ce n’était pas mon destin. Il était tout autre, la protection de notre peuple, pourtant éteint.

Tout en courant pour mon jogging matinal avec Berni Cosar, j’arrivais en face de l’école. Tout en ralentissant, je changeais vite fait mon t-shirt que je fourrais dans le fond de mon sac pour une chemise bleu et blanche. Les grilles étaient ouvertes, et peu de personne était présentes en ce moment. J’installais mes affaires dans mon casier et prit la direction de mon prochain cours. Presqu’une demi heure à l’avance. Tout va bien. Je poussais un profond soupire alors que je passais devant le secrétariat. Malheureusement pour moi, ou non, ça dépend, je me vis être appeler par une secrétaire. Une petite vieille, avec un chignon gris et des lunettes en forme de demi-lunes.

- Monsieur Smith, auriez-vous le plaisir de faire visiter notre école à cette jeune demoiselle ?

Elle tendit son doigt d’où un vernis rouge écarlate s’écaillait vers une jeune fille aux cheveux auburn assise sur un des bancs qui servait de « salle d’attente » pour le directeur. Là où deux semaines auparavant je m’étais tenu à attendre mon horaire et qu’on me donne ma place dans ce lycée. Compatissant à l’idée que la jeune fille était elle aussi nouvelle, je me dirigeais vers elle, tout en abordant un sourire sympathique.

Arrivé à sa hauteur je me plaçais devant elle, debout, et lui tendis la main en signe de bonjour. J’avais eu la chance d’avoir Sarah comme mentor, je serais aussi sympa qu’elle à l’égard de la nouvelle. Je savais ce que ça faisait, et ça n’avait rien d’amusant, tous ces regards curieux planté sur vous. Non, vraiment.

- Hey. Je m’appelle John, et toi ? Je suis celui qui te fera visiter notre petit lycée.

Attendant qu’elle se lève afin de me suivre, je continuais.

- Et tu es en quelle année enfaite ? Moi je suis en Terminale.

La jeune fille était beaucoup plus petite que moi, avec ses longs cheveux bouclés et ses yeux noisette en forme d’amande.

Le lycée. Endroit où des troupeaux de moutons, appelés aussi adolescents, passe leur temps sur des bouts de bois dans des salles surchauffés avec un constant bourdonnement dans les oreilles. Pas très joyeux n'est ce pas ? Alors imaginé en plus que ce soit de simples cabanes aussi grandes que votre chambre et dont l'arrivé d'un nouveau peut alimenter les ragots pendant 1 mois. C'est exactement ce que j'ai trouvé en arrivant devant le lycée de Paradise. Arrivé dans le minuscule (évidemment) parking de l'établissement, presque vide à cette heure, je cherchais l'entrée qui ne devait pas être bien loin vu la superficie. Apercevant des lumières au bout de la rangée d'arbres bordant les places, j'avançais d'un pas rapide tout en rabattant ma capuche sur mes cheveux, sentant déjà le mauvais temps venir. Paradise... Tu parles. Je fis une petite pause en essayant de décrypter les grosses lettres noirs au dessus de la porte. Sans succès. Cependant, désireuse de retourner au chaud, j'entrais en coup de vent dans la pièce, manquant presque de trébucher. L'air chaud m'envahit et j'enlevais ma capuche tandis qu'une vieille femme, qui ne devait pas être aller dans un magasin depuis une bonne quarantaine d'années, m'interpella. Devant elle, une pancarte m'indiqua sa fonction « Secrétaire ».

- Bonjour, mademoiselle. Puis-je vous aider ?

Vu son sourire, elle devait déjà savoir qui j'étais et ce que je voulais. Je fis comme de rien était et avançais en lui rendant son sourire.

- Bonjour. Je suis Emily Warren. Pourriez-vous...
- Oh, oui, oui, s'empressa-t-elle de répondre avant même que je termine ma phrase. Elle farfouilla dans un tiroir et me tendis un plan du lycée et mon emploi du temps. Tenez. C'est donc vous qui avez emménagé avec votre tante et votre petit-frère dans la maison de...

Elle hésita quelques instants puis se tut et m'offrit encore une fois son vieux sourire, quelques peu atténué cette fois. Je ne lui fit pas remarquer que ma tante ne vivait pas avec nous, seulement sur le papier, et qu'elle venait de temps en temps, la plupart du temps accompagné d'une nouvelle conquête. J'avais toujours gardé secret ma vie privé de peur d'attirer l'attention des services sociaux. Il m'aurait à coup sûr séparer de Mickael, ce que je n'aurais pas pu supporter. Plutôt mourir.

- Je suis désolé pour vos parents. Mais soyez la bienvenue dans notre charmante ville.
- Merci. Ce fut tout ce que je put lui dire sans que je commences à bredouiller ou encore pire, à m'effondrer de douleur. Décidément, l'anonymat était interdit ici. J'avais l'affreuse impression que la ville entière savait tout de moi et allait m'en faire baver.

Enfin. Je devais m'en contenter si je voulais rester avec mon frère et lui faire mener une vie décente. Je m'apprêtais à sortir de cette salle qui commençais à devenir étouffante quand la secrétaire m'interpella et me dit de m'installer sur le banc pour attendre... Je me bouchais intérieurement les oreilles et m'assit docilement sur le banc en bois. Passé quelques minutes, je commençais à sérieusement transpirer son mon gilet en laine et décidais de l'enlever. Dehors, le pluie continuais à battre son plein et je me laissais bercer par sa douce musique. J'ouvris soudain les yeux, m'apercevant donc au passage que j'avais commis l'imprudence de les fermer, au son de la voix de la vieille femme qui interpellait un élève.

- Monsieur Smith, auriez-vous le plaisir de faire visiter notre école à cette jeune demoiselle ?

C'était donc ça que j'attendais. Un guide... une sorte de parrain... Manquait plus que ça. Il n'y avait décidément que dans un lycée aussi petit que l'on faisait visiter à un nouvel élève. Dans les autres, les élèves n'avaient pas autant de temps à perdre. Le fameux Smith s'avança vers moi en me souriant d'un air compatissant et se posta devant moi. Je levais les yeux vers lui en m'apercevant au passage à quel point il était grand et... me mit à chercher comment je pourrais lui échapper en cas d'agression. Voyant sa carrure je n'avais pas beaucoup de chances... Je ris intérieurement devant ma stupidité. Ce garçon devait être gentil. Il fallait vraiment que je surveille cette paranoïa qui avait tendance à m'envahir depuis que j'habitais en ville.

- Hey. Je m’appelle John, et toi ? Je suis celui qui te fera visiter notre petit lycée.

J'attrapais la main qu'il me tendait et la serra tout en me présentant à mon tour.

- Salut. Moi c'est Emily Warren.

Il continua sur sa lancé.

- Et tu es en quelle année enfaite ? Moi je suis en Terminale.

Je me levais pour le suivre, ne voulant pas le faire attendre. Scrutant son visage, j'essayais d'y déceler de l'agacement, ou n'importe quelle autre sentiment qui aurait pu me faire comprendre qu'il aurait aimer être ailleurs. Peine perdue, son éternel sourire ne le quitta pas une seconde. Je me repris, soudain consciente que je le fixais des yeux, et lui répondis en regardant droit devant moi.

- En Première.

J'entendis un brouhaha au fond du couloir et vit une masse d'élèves s'engouffrer dans le couloir. Certains riaient, d'autre ouvraient en vitesse leur cahier pour faire des révisions de dernière minute. Ce qui m’aperçurent, m'examinèrent comme si j'étais une martienne, et me mirent du même coup très mal à l'aise. Essayant vainement de les ignorer, je vis un groupe de cheerleaders me regarder de haut en bas, d'un regard qui me fit penser au proverbe « Si les regards pouvaient tuer ». J'en compris la raison en surprenant le regard que jeta celle qui devait être la capitaine à mon guide. J'entendis d'ailleurs un début de phrase quand elles arrivèrent à ma hauteur. « Après miss-je-sais-tout, alias Sarah Hart, voilà la nouvelle qui lui m'ais son grappin dessus. Je suis sûr qu'elle lui a sortit que ses parents étaient morts, la larme à l'oeil, juste pour... » Je regardais droit devant moi, n’empêchant d'entendre plus et luttant contre les larmes. Je tournais les yeux vers John et fut surprise de ne plus le voir sourire. Lui aussi regardait droit devant lui, sans expression particulière. J'entendis des rires au loin.

- Toi aussi, tu est nouveau ? Cette phrase m'avait échappé. J’éprouvais soudain le besoin de me justifier, de peur de le vexer. Je dis ça parce que tu... tu ne parles à personne... Enfin, je dis pas que tu n'as pas d'amis mais c'est bizarre que personne ne viennes te dire bonjour... Je me tus, me mordant la lèvre pour éviter qu'une autre stupidité comme celle-là franchissent mes lèvres.

La jeune fille s’appelait donc Emily. Emily Warren. Ça ne me disait rien, mais en même temps je voyageais tellement que je ne reconnaissais jamais un nom. Parce que j’aurais peut-être pu un jour l’avoir connu. Mais ce n’était pas le cas. J’appris aussi que la petite brune était en première. Ce qui voulait donc dire que j’étais d’un an plus âgé qu’elle. Tant mieux. Ça m’aurait fait bizarre d’être plus jeune que celle à qui je devais faire visiter le lycée. Bon, d’accord, j’étais en dernière année. Mais il y avait toujours le redoublage. Enfin, ce n’était pas important, vraiment.

Nous nous mîmes ensuite à marcher. Je ne connaissais peut-être pas encore toute l’école à fond, mais les pièces principales, et là où se déroulaient les cours, j’étais callé. Callé comme on peut l’être après un mois d’emménagement. Et si ça se trouvait, dans un mois je pourrais à nouveau dire au revoir à cette petite ville. Je ne me faisais donc pas trop d’espoir, m’accrochant au seul fait qu’Henri avait encore des « choses à régler en ville ». Je me demandais parfois vraiment ce qu’il pouvait avoir bien à faire ici, dans un endroit aussi perdu. Surtout que souvent il donnait l’impression de connaître les endroits les plus saugrenues de Paradize. Ce n’était pas la question en ce moment.

Je précédais Emily dans les couloirs qui se remplissaient petit à petit de monde. Les jeunes et moins jeunes emplissaient les bâtiments, les cours allaient commencer, les bavardages de la veille reprenaient. Je n’y faisais pas vraiment attention. A quoi bon ? Je ne connaissais pas la moitié des personnes présentes, si pas plus. Je souris intérieurement. Etre nouveau pouvait certes avoir des désavantages, mais dieu, tellement d’avantages aussi. Ma vie de vagabond, je m’y étais habitué. Vous n’aviez pas à prendre part aux rumeurs, aux chuchotements dans le dos des autres, aux activités de préparation de je ne sais quel évènement folklorique.

- Toi aussi, tu es nouveau ? Je dis ça parce que tu... tu ne parles à personne... Enfin, je ne dis pas que tu n'as pas d'amis mais c'est bizarre que personne ne viennes te dire bonjour...

Je tournais la tête vers la petite nouvelle, et je ne pus m’empêcher de rire, gentiment bien sûr, il n’en est pas moins que je riais. La jeune Emily avait le sens des choses ! Bah, c’était mieux que de tirer la tête jusque par terre et toujours se taire.

- En effet. T’inquiète tu ne me vexes pas ou autre chose. Je suis arrivé à Paradize depuis un mois.

Et c’était tout ce que je pouvais dire. Parce que sortir « pour fuir les Mogadoriens et m’entraîner avec mes pouvoirs », ça le faisait moyen. Et en effet, personne ne venait me dire bonjour. Mais c’était mieux ainsi. Je ne me lirais pas d’amitié avec qui que ce soit, je ne ferai pas encore des adieux déchirants aux bouts de quelques mois. Ce serait la fois de trop, où je ne pourrais pas supporter. Je n’étais jamais rester plus de quatre mois au même endroit. Allez, encore trois mois et je m’en vais découvrir de nouveaux horizons ! Bon, d’accord, j’arrête l’ironie.

- A droite tu as le réfectoire, et à gauche l’auditoirum pour les réunions d’école ou je ne sais trop quoi. Lui-dis tout en tendant mon bras devant nous. Tu es arrivée il y a combien de jours ? Je suppose que pour l’instant non plus tu ne connais pas grand monde ?

J’avais dit ça sur un ton plat, neutre, mais sans m’arrêter de sourire. Malgré tout ce qui était arrivé à mon peuple, j’essayais avec le plus de force de toujours garder le sourire, de ne rien laisser paraître. Les autres ne pourraient pas comprendre.

- Tu commences par quel cours ?

Je pourrais alors peut-être l’aider à trouver sa future classe. Même si je me montrais gentil et bien veillant, je n’oubliais pas la petite cloche qui pendait au-dessus de ma tête susurrant de ne pas s’approcher plus. Intérieurement, je poussais un soupire. Quand j’y réfléchissais, je n’avais jamais été doué pour rester en dehors des « groupes de jeunes ». Regarder encore maintenant. Certes, je n’avais pas encore approché un de ces groupes, il n’en restait moins que j’avais fait la connaissance de cette Sarah. Comment ou pourquoi je n’arrivais pas à me la sortir de la tête. Et j’espérais sincèrement n’être pour elle qu’un petit nouveau qui ne vous intéressait pas plus que ça.

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